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Slam : quand la plume libère les maux

Tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime ! La poésie serait-elle à la mode ? C’est en tout cas ce qui ressort lorsque l’on voit le succès grandissant de la pratique du slam. À l’heure où l’on débat de la restructuration du système scolaire français, ne devrions-nous pas nous interroger sur la vocation pédagogique du slam ?

Pratique artistique parfois encore méconnue, développée dans la rue, les cafés, les librairies, à la radio et sur le net, elle encourage chacun à s’exprimer librement, à écrire lors d’ateliers, à prendre la parole lors de scènes ouvertes. Ces espaces d’expressions - nés dans les années 1980 à Chicago grâce à Mark Smith - sont surtout des lieux de rencontre où se côtoient toutes les individualités sociales.
Mic, stylo et papier en main, les premières slam-sessions ont tôt fait de remplacer la force des poings par le pouvoir des mots et des paroles. Plus qu’une joute verbale, le slam apparaît comme l’exutoire de nos maux quotidiens.
Un art qui réconcilie avec l’écriture, la prise de parole et qui permet d’exorciser. L’inspiration contemporaine qu’est le slam souhaite dépoussiérer la poésie avec les formes d’expression actuelles auprès de tous les publics que ce soit à l’école, en prison, à l’hôpital ou en simple atelier. Un poète n'est poète que malgré lui, et généralement il ne s'en rend pas compte. Rimbaud, dans ses délires de drogué, ne faisait-il pas de la poésie sans être conscient ?
Quand l’actualité médiatique nous inonde d’informations inutiles, lorsque l’on constate que le mépris est le mode de gouvernance des élites… La culture, qui subit de plein fouet le désengagement des politiques publiques, prouve une nouvelle fois qu’elle sait défier les labyrinthes de la censure. Des mains se lèvent, des voix s’élèvent, et des corps s’agitent dans les scènes ouvertes de slam. Cet art de rue qui met en lumière l’oralité nous invite-t-il à tisser un nouveau lien social ?
Rencontre avec Pilote le Hot, chef de file du «slam» parisien.

1 – Tu es l’un des slameurs les plus reconnus, considéré comme l’un des pères du slam français. Comment s’est construit ton parcours ?
Tout a commencé vers 17 ans à peu près, l’époque où je voulais devenir Rock Star. Je commençais à griffonner et écrire des textes car je ne savais pas jouer d’un instrument. Puis vers l’âge de 22 / 23 ans j’ai commencé à faire des performances seul en public. En 1995, à la faveur de rencontres depuis mes pérégrinations, on a commencé à organiser avec d’autres poètes et performeurs des slam de poésie, des soirées ouvertes aux poètes de tous bords, quels que soient leurs styles et leurs origines. En 2001, c’est les Rencontres Urbaines de la Villette qui ont récupéré le mouvement qui commençait à se faire connaître à Paris et qui ont permis au slam de se développer. En novembre 2002, nous avons organisé La Nuit Blanche Oratoire pour la ville de Paris.
2  - Sur une échelle d’importance, quelle différence ferais-tu entre l’oralité, la prise de parole du slam et l’écriture poétique d’un texte de slam ? Selon toi qu’est ce qui définit le plus le principe du slam ? Quel est le mode d’emploi ?
Le slam ne vient pas l’anglais to slam, il vient de l’expression slam poetry qui signifie shelem de poésie. Il ne faut pas oublier que le slam est avant tout un tournoi, une rencontre de poètes qui ne s’affrontent pas mais se confrontent au public à l’oral et qui font attention à la structure littéraire de leur texte c’est pourquoi il n’y a pas d’échelle d’importance. Le slam est à la base structuré, les meilleurs poètes ne gagnent pas forcément. Le mode d’emploi est simple, les rencontres de slam de poésies sont ouvertes à tous et à toutes sans aucune distinction. Les slameurs peuvent traiter n'importe quel sujet, dans n'importe quel style.
Il n’y a pas d’instrument de musique ou de musique préenregistrée.
Les slameurs qui utilisent la musique ne sont pas des slameurs mais des escrocs. La poésie sur de la musique correspond au « spoken word » développé plutôt par les Maisons de Disques mais on y reviendra plus tard.
La performance du slameur repose sur son texte et sa relation avec le public. Les individus ne passent sur scène qu’une seule fois et chaque passage est limité à un texte de trois minutes. La spécificité du slam est que c’est le public qui choisit les slameurs qui passeront en finale. Le jury juge de la qualité du texte et de la performance. Et pour finir : un poème dit, un verre offert.

3 - Aujourd’hui nos sociétés font face à de véritables crises de vivre ensemble, crois-tu que le slam permet d’aboutir à une réconciliation des citoyens entre eux ?
Oui je pense. La vertu du slam de poésie est que c’est un sport de société qui crée de la civilisation. Le slam s’impose par ses principes et ses règles en un mouvement communautaire où la liberté d’expression est le lieu commun de tous les participants. Il n’y a pas de bon poème de genre slam, il y a toujours de mauvais poètes dans un slam. Le but est d’arriver sur scène en toute liberté ; le slam de poésie n’est pas un récital, c’est une sorte de conscience politique des choses.
« Le vrai talent c’est de durer » et dans les tournois de slam de poésie chacun est obligé d’écouter les autres d’où la bienveillance de cette pratique. Une bienveillance qui n’a rien à voir avec la dimension de paix sociale que présentent certains textes de slameurs que je considère comme des escrocs. Leurs textes ne sont pour moi aucunement subversifs.  Pour te répondre, la réconciliation des citoyens est une résultante de la discipline mais le slam n’est en aucun cas un outil. C’est un dispositif.

4 – Justement le slam en prison connaît un succès intéressant…K’Trin D, avec laquelle tu travailles, en 2004 initiait les premiers ateliers avec des détenus. Force est de constater qu’ils retrouvent une certaine liberté à exprimer leurs émotions à travers l’écriture de texte de slam. Le partage et l’ouverture préconisés par le slam peuvent-ils vraiment lutter contre la censure ? Même dans les milieux les plus censurés et les plus privatifs de liberté ?
Les ateliers de slam en prison, c’est enfoncer une porte ouverte, les détenus sont friands de ce genre de choses. Il n’y a pas de censure en prison et les thèmes des ateliers sont très disparates. Nous avons organisé notamment le tournoi de la Prison de la Santé et le gagnant a pu sortir pour venir au slam National. Mais les textes des détenus qui dépassent les bornes ne sont pas sélectionnés.  Cependant, la prison représente l’échec social et le slam est le terrain d’écoute avec l’extérieur. Il a également une vertu de sociabilisation entre les gangs. Mais il faut bien se rendre compte que le slam sur scène n’a rien à voir avec les textes écrits sur le slam. On peut donner une image sur un poème en ligne qui n’a rien à voir avec le slam.

5 - Le slam utilise-t-il les mots pour mener un combat contre les faux-semblants, les injustices ? Y a-t-il une volonté libératrice derrière tout ça ?
Non je ne crois pas. La volonté libératrice n’est pas la mission du slam de poésie. Ainsi, le slam s’impose aujourd’hui en tant que mouvement artistique, culturel et social qui veut impliquer le public dans la poésie, la démocratiser auprès du plus grand nombre. À l’intérieur des scènes slam il y a des confrontations altruistes et individualistes. Sa mission citoyenne est de donner la parole à celui qui la veut, le temps d'un texte et quelque soit son style.
 

6 - Parce que quelque part le slam c’est finalement une prise de parole sauvage parfois, pourrions nous y trouver justement toutes ses prises de paroles collectives qui s’exacerbent aujourd’hui quand on parle d’écologie, de développement durable... ?
Oui bien évidemment, il y a des personnes qui ont des thèmes forts sur l’écologie. J’ai moi-même un poème qui s’appelle « Respire » qui traite de l’accélération du temps dans nos sociétés capitalistes. On pourrait bien évidemment imaginer avec ton magazine un tournoi de slam écologique ! (N.D.L.R : c’est une idée !)
Les slameurs traitent de la vie, l’environnement, d’émotions... Entre écriture et déclamation, c’est le verbe comme moyen d’expression et sa capacité à créer du lien, construire le langage de la vie comme le faisaient les poètes d’hier comme Charles Beaudelaire, Jacques Prévert, Louis Aragon ou Maurice Carème…

7 - à l’heure où l'on parle de réformer les systèmes scolaires, s’adapter aux rythmes des jeunes, pourquoi selon toi le slam n’est-il pas plus enseigné dans les écoles, comme support de poésie par exemple ?
Le slam existe dans des centaines d’écoles en France aujourd’hui et les matchs de slam interscolaires fonctionnent très bien. Il existe également des ateliers de slam à l’IUFM du XVIe depuis cinq ans. L’objectif de ces activités est de donner à chaque élève la possibilité de prendre papier, stylo et s’exprimer sur les thèmes qu’il désire.

8  – C’est l’idée de fédérer les élèves autour d’un projet commun et de les sensibiliser à travers des choses qui les touchent ? C’est de la médiation sociale ?
C’est une des vertus du slam, qui est un art communautaire, que de faire découvrir ou redécouvrir aux élèves le patrimoine français, la grammaire…. C’est l’exercice de la langue française perçue d’un autre angle peut être plus inventif et qui parle plus aux jeunes. Il faut leur donner envie de s’intéresser à la poésie pour que notre culture ne s’oublie pas !
Cependant aujourd’hui, bien que l’état soit conscient des vertus du slam de poésie, il a décidé d’opérer des restrictions budgétaires et il désire arrêter les subventions des ateliers de slam.

9 - On voit de plus en plus d’initiatives privées sensibiliser à la poésie ou la lecture justement, je pense notamment à la RATP qui depuis quelques années fait des campagnes avec des poèmes « urbains » ou encore la SNCF qui a lancé l’opération « Pass’livre » qui a vocation de faire voyager la littérature et créer ou recréer du lien entre les individus ? Penses-tu que cela opère du même principe que le slam ?

Je ne crois pas que ce soit la même chose. Cela fait quelques années que la RATP célèbre les poètes, mais c’est aujourd’hui terminé. L’opération a duré une quinzaine d’années mais aujourd’hui les espaces dédiés à la poésie sont devenus des espaces de publicité nous incitant à consommer encore et toujours plus. Nous avons-nous mêmes avec slam Production* organisé un grand concours avec la SNCF mais cela reste du packaging culturel. Même si je trouve l’idée bonne, il serait intéressant de voir les partenariats commerciaux de la SNCF avec les maisons d’édition pour son opération « Pass’Livre ».
Les Maisons de Disques les premières se sont emparées du « spoken word » par opportunisme linguistique quand elles ont vu que cela pourrait servir une niche financière. Sous couvert de bons sentiments, appelant au voyage et à la destruction des frontières et/ou au nomadisme, les initiatives de sociétés privées de ce type inscrivent un véritable enjeu économique. Or Il n’y a pas d’enjeu matériel important dans le slam, car dès qu’il y a enjeu il y a individualisme.
Le slam est de par sa base très structuré, il s’agit de matchs poétiques ouverts à tous et déclamés en public, tout le reste qui gravite à côté n’est plus du slam. Et tu le vois bien, Abdel Al Malik quand il a repris le texte de Brel n’a jamais dit qu’il faisait du slam mais plutôt un projet musical.

Propos recueillis par Stéphanie Dupin

*Site internet de slam Production : http://www.slameur.com

Auteur : SD | 25/12/2011 | 0 commentaire
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