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Procès Total : délibéré le mardi 17 janvier 2012

Le procès Total, concernant la pollution du 16 mars 2008, était prévu sur trois jours. Finalement, il n'aura duré que deux jours. Pour les parties civiles et la procureure Florence Lecoq, Total est bel et bien responsable et a sous-estimé le risque de pollution. Le groupe considère qu'il a mis tous les moyens en oeuvre et qu'aucun manquement n'a été constaté.

Pas moins de 24 parties civiles (dont deux s’étant déclarées dans la journée de mardi) se sont constituées dans le procès de Total. Associations, collectivités et particuliers ont souffert de la pollution de la Loire qui a eu lieu le 16 mars 2008. Le déversement, accidentel, de 500 tonnes de fioul, a entraîné la pollution de la Loire. La fuite a été détectée lors du ravitaillement d'un navire. Ce n’est que le lundi matin que Total a averti les industries locales et l’état du déversement. Trois mois et demi avaient été nécessaires pour nettoyer les 90 km de côtes de l'estuaire et du littoral impactés.
Ouverte en avril 2008 (et suite à des plaintes déposées par des communes et associations écologistes), l’information judiciaire du parquet de Saint-Nazaire avait abouti à la mise en examen de Total en mars 2009. Rapidement, le groupe a payé les frais de dépollution et indemnisé les professionnels à hauteur de 50 M€. Depuis, la raffinerie a installé des zones de rétention et des caméras de surveillance sur les bords de Loire. Le président de l’association Les Robins des Bois souligne la dangerosité de cette journée : « plusieurs trains sont passés à côté de la fuite alors qu’il y avait des risques d’inflammation. Le terminal méthanier n’a été averti que le lendemain qu’il ne pouvait pas faire refroidir ses installations dans l’eau de la Loire ».

500 tonnes déversées en 6 heures

Pour l’expert en mécanique des fluides, M. Stanislas, tout droit venu de Lille, environ 1 500 m3 de fuel ont été déversés dans la Loire entre 11 h 05 et 17 heures le 16 mars. La cause technique de cette fuite est la corrosion localisée de la canalisation (corrosion due à la fuite d'une autre conduite, contenant de l'eau de mer, au-dessus de celle de fuel, qui a attaqué le calorifugeage protégeant le tuyau). À cela il faut ajouter un surplus de pression et quelques pics de pression. Mais, « si la valve d’isolation avait été bien fermée au moment du basculement, la rupture n’aurait sans doute pas eu lieu. Il faut voir ce que prévoit la procédure : si la valve n’est pas censée être fermée, ça signifie que l’ensemble du circuit peut soutenir la pression ; si elle est censée l’être, c’est une erreur », précise M. Stanislas.
L’un des avocats de la partie civile demande « est ce que les personnes qui surveillaient auraient pu s’en rendre compte ?  Vraisemblablement oui, car quand il n’y a pas de fuite, la pression est constante. Je le sais, donc je m’en serais rendu compte, mais je ne connais pas les compétences de ces personnes en mécanique des fluides », répond l’expert. Satisfaite des questions et des réponses, la procureure Florence Lecoq n’a rien demandé de plus. Ce qui n’est pas le cas de la défense qui pointe du doigt l’un des calculs de l’expert : « selon vos calculs, la surface de la brèche fait 20 cm2, or elle n’en fait que 15. Cette différence de 25 %, ça change aussi le volume du liquide, non ? » M. Stanislas ne peut qu’acquiescer. Et les avocats des parties civiles de s’insurger : « vous auriez mieux fait de demander une contre-expertise, mais vous ne l’avez pas fait de peur des résultats ! ».

Huit avocats pour vingt-quatre parties civiles

Quand vient le tour des plaidoiries, c’est Me Alexandre Varaut, l'avocat du Conseil général de Vendée, qui commence. « Les conclusions de Total sont : nous ne sommes responsables de rien. C’est inquiétant si leur conclusion, à la fuite de liquide dangereux dans les eaux, est qu’il n’y a rien de répréhensible. Si leurs canalisations fuient, si leurs bateaux coulent, leurs poches ne sont pas percées ! » Pour l’avocat, la raison de cette fuite, ce sont les économies faites par Total au niveau du personnel, mais aussi des moyens de secours qui sont basés à Marseille. Fort peu pratique pour une fuite en Bretagne.
L’avocat d’Écologie sans Frontière, s’indigne que Total ait volontairement caché la gravité de la situation, même à l’État. «S’il avait été appelé, le SDIS aurait pu intervenir le dimanche après-midi. Mais Total s’en lave les mains. L’entreprise a une obligation de résultat : les canalisations doivent être étanches, elles ne l’étaient pas et Total le savait ». Pour l’avocat de l’association « Amis des collectifs marée noire », non seulement l’exploitation n’est pas conforme, mais les moyens ne sont pas mis en oeuvre pour l’entretien des canalisations. Ce qu’il considère comme de la négligence.
Enfin, la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) a clos la matinée avec son avocat, Me François-Xavier Kelidjian. « Le fuel est venu directement frapper les zones protégées, ce qui c’était déjà produit en 2003 et en 2007. Pendant ces douze dernières années, nous avons essayé de faire naître un minimum d’attrait pour la chose environnementale chez Total ». Visiblement le résultat se fait attendre.
 
La faune et la flore impactées
 
À la reprise de l'audience en début d'après-midi, Me Torjaman pour les Pays de Loire a tout d'abord expliqué que la région venait demander « une justice non vindicative, mais respectueuse de la loi ». Comme bon nombre d'avocats des parties civiles, ce dernier a mis en exergue la non prise en compte du risque environnemental au sein de Total Raffinerie Marketing : «Nous venons défendre la valeur de l'eau, ce patrimoine commun. Total a fait preuve d'imprudence et de négligence en ne mettant pas tout en oeuvre pour éviter cette catastrophe. Il y a eu une atteinte à l'intégrité du patrimoine naturel et un préjudice écologique évident. » Le défendeur des Pays de Loire a également soutenu qu'il devait y avoir réparation du fait de l'atteinte à l'image de marque de la région et à sa réputation : «Les Pays de la Loire représentent la 5e région en terme de fréquentation ». Au-delà, de la région Me Thorjman s'est évertué à démontrer que toute la population locale avait été touchée par cet incident : «la collectivité humaine vit aujourd'hui avec le stress de la souillure ». Et de terminer en précisant : «La région a fait constater par huissier la pollution. La faune, la flore ont été impactées. Je demande réparation au préjudice de la population. Votre jurisprudence est attendue.»
 
 
Un réquisitoire virulent

 
Le procureur Florence Lecoq a quelque peu surpris la salle avec un sévère réquisitoire contre Total. «Au cours des débats, on a relevé un certain nombre d'imprudences et de manquements. Le risque de pollution a été totalement sous-estimé et considéré comme secondaire. À tort bien évidemment. » À la question de savoir quels moyens ont été mis en oeuvre, la procureure est affirmative : « Aucun ! Total n'a jamais anticipé un risque connu et certain ». Florence Lecoq regrette également que la raffinerie n'ait pas pris en compte le phénomène de corrosion externe sur la tuyauterie : «Dès 2004, Total savait que celle-ci était endommagée et devait être changée. Le rapport de l'expert le confirme. Pendant deux ans, Total n'a jamais procédé à la vérification de l'état de la corrosion. Aujourd'hui je ne vois pas comment Total pourrait dire qu'elle n'est pas responsable.» Concernant, le nombre de m3 de fuel qui s'est déversé, la représentante du Ministère public assure qu'il a été minimisé : «Total n'a jamais fait état de l'évaluation. C'est affligeant ! ». Et d'ajouter : «tant que l'on aura des personnes qui pourront dépenser 50 M€ et payer l'amende 375 000 €, il n'y aura aucune marge de progression ». Avant de requérir une peine d'amende de 300 000,00 €et 5000 € au titre de la contravention, Florence Lecoq a déclaré : «Je l'affirme, Total a une conception étriquée, désincarnée et velléitaire de ses obligations ».
 
« Ça n'a rien à voir avec l'Erika ! »
 
La partie ne s'annonçait pas facile pour la défense. Celle-ci a tout d'abord souhaité préciser que la sécurité n'était pas un vain mot pour le groupe. «Pour Total la sécurité est une priorité de tous les instants :  sécurité des personnes, de l'environnement, des installations et non celle du profit. Notre fonctionnement s'inscrit dans une culture de la sécurité et on ne peut pas dire le contraire. Total ne fait pas d'économies sur les budgets de maintenance ». Point par point, la défense a tenté de démonter tous les arguments mis en avant par la procureure. «Le budget alloué aux installations et à la protection de la Loire est passé de 7 M€ en 2007 à 10 M€ en 2008. Il n'y a pas non plus d'économies sur le greement des quarts d'équipes et d'ailleurs la DRIRE n'a fait aucune remarque à ce sujet.» Dans la salle, cette déclaration a bien fait sourire quelques personnels de Total qui visiblement n'étaient pas d'accord. Sur la problématique des volumes déversés, la défense considère : «Il n'y a que M. Stanislas qui, par un calcul approximatif trouve 1 500 m3, alors qu'il ne s'agit que de 500 m3. Ce chiffre a été validé par les Douanes.»Après la pollution, la défense affirme que toutes les mesures ont été prises. « Dès la connaissance de la pollution, Total a dit qu'elle prendrait en charge toutes les conséquences de la pollution, ce qui vous l'avouerez est assez exceptionnel dans le monde industriel. 400 chantiers de dépollution ont été mis en place avec des effectifs extérieurs qui ont compté jusqu'à 1 000 hommes/jour et tout ceci sous la supervision du SDIS. Les indemnisations ont été faites vis-à-vis de toutes les personnes qui se sont présentées à la cellule d'indemnisation. » Et de renchérir : «Ce n'est pas parce que l'on indemnise les gens que l'on commet un délit pénal ». S'adressant au président Le Ninivin, la défense s'insurge : «On est en train de vous faire une sorte de répétition de l'Erika. ça n'a rien à voir». Sur le plan les conséquences de la pollution l'avocat de Total a souhaité préciser : «Les études montrent qu'il n'y a pas eu d'impact de la pollution du 16 mars. Cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas existé. Cela veut dire que l'on y a remédié. La seule faute relevée montre seulement que les soles ont été stressées. » La plaidoirie de la défense terminée, le tribunal a mis l'affaire en délibéré au mardi 17 janvier.

Auteur : AP - YE | 05/10/2011 | 0 commentaire
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