Jusque dans les années 1950, la drogue y était sinon inexistante, du moins invisible au niveau de la rue. Tout a changé à la fin des années 1980, lorsque le marché a explosé : les seringues se sont mises à joncher les parcs de Berne ou de Zurich et le SIDA a fait son apparition. Pour les Suisses, peuple pragmatique et sourcilleux sur les questions d’hygiène, il fallait trouver une solution de nature à enrayer la transmission du virus, à limiter les décès par overdose et à soigner les toxicomanes tout en évitant les troubles à l’ordre public, c’est-à-dire les réunions de vente et de consommation de plein air. Un peu à la façon dont les « salons de massage » y avait réglé le problème de la prostitution, le premier « centre d’injection » voyait le jour à Berne en 1986. Pour y consommer en toute sécurité, la police s’était engagée à ne pas arrêter les visiteurs (sauf en cas de deal avéré) et l’on fournissait sur place des seringues propres et, éventuellement, une assistance médicale et psychologique. Quant à l’économie parallèle du trafic, elle restait l’affaire des banques qui continuaient de blanchir à tour de bras. C’est ainsi qu’entre 1991 et 2009, selon les sources, on a pu observer un recul de moitié de la mortalité par overdose et d’autant celle due au sida chez les toxicomanes. Les « salles de shooting » sont donc devenues un sujet de consensus au point qu’en 1997, une initiative visant à les interdire a été rejetée à 70 % par référendum. Seuls les Lausannois (que les Genevois appellent « le canton des veaux ») avaient refusé leur installation en 2007.
Le nombre de consommateurs a-t-il baissé pour autant ? Non, répondent les associations de lutte contre la drogue. « Si elles aident à améliorer l’état de santé des usagers, si elles contribuent à réduire le nombre de décès par overdose, elles entretiennent la dépendance aux drogues au lieu d’aider les toxicomanes à s’en sortir. », assène Joséphine Baxter, vice-présidente de la Fédération mondiale. En Australie par exemple, aucun parti politique ne milite plus pour de nouvelles ouvertures depuis que l’association Drug Free Australia a démontré en 2006 que le risque était trente-six fois plus important d’avoir une overdose dans une salle qu’à l’extérieur, compte tenu du fait que les toxicomanes avaient tendance à expérimenter des dosages de plus en plus forts en profitant de la présence du personnel médical au cas où... Bilan mitigé également au Canada où une étude publiée en 2007 conclut à la faible réduction de la transmission des maladies et au faible impact sur la mortalité par overdose même si plusieurs autres études européennes témoignent d’une certaine modération des comportements à risques. Même constat à Amsterdam, à Rotterdam et même à Genève, où le président de l’association « Dites non à la drogue », Patrice Bo-Sieger, se plaint que les dealers prolifèrent autour de la salle « Quai 9 », à la façon « d’ un supermarché, avec plein de petites boutiques tout autour » et où les clients viennent (y compris) de France pour s’acheter leur dose. Un bilan donc en demi-teinte.
Chez nous, il y a eu de l’eau dans le gaz. Les associations de protection, celles des riverains de la gare du Nord, les syndicats de police et la candidate de droite à la mairie de Paris, NKM, se montrèrent intraitables. Le gouvernement ayant choisi par précaution de prendre l’avis du Conseil d’Etat avant de commencer les travaux, ce qui ne devait être qu’une formalité a viré au camouflet : une loi serait désormais nécessaire pour ouvrir ce type de centre en France. La première salle de shoot parisienne n’est donc pas pour demain. Ce changement de donne réjouit en tout premier lieu l’association « Parents contre la drogue » qui, estimant illégale la création d’une telle salle, avait bataillé ferme en déposant plusieurs plaintes et même un recours devant le Conseil d’Etat. « Nous sommes très contents, car c'est une deuxième victoire pour nous, alors que le Conseil d'Etat nous a déjà donné raison en août en considérant notre recours recevable », et son président d’ajouter : « Si Marisol Touraine est si sûre que les salles de shoot « c’est formidable », pourquoi ne passe-t-elle pas devant le Parlement ? » « Nous allons retravailler avec le ministère de la Santé », a répondu la candidate socialiste. Ce qu’Anne Hidalgo ne précise pas, c’est que les bâtiments de la gare du Nord où devait être implantée la salle en question, abrite également les locaux de la douane (Thalys / Eurotunnel), ceux de la police de l’air et des frontières (d’Eurotunnel), ceux de la douane et de la police anglaise chargées du trafic transmanche ainsi qu’un commissariat de police. Une véritable marée de képis et de casquettes au milieu de laquelle les toxicomanes auraient eu du mal à se frayer un chemin et les forces de l’ordre à faire leur métier en « restant invisibles dans un rayon de 150 m de la salle » comme le prévoyait la ministre. « Vous imaginez les contentieux au tribunal, confiait la semaine dernière un responsable des douanes, on ne pouvait pas choisir un pire endroit pour installer ça à moins, bien sûr, de déménager la gare du Nord ! »
Pour autant, les « salles de shooting » suisses sont-elles souhaitables ou transposables en France ? Xavier Laqueille, chef du service d’addictologie à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, ne cache pas son scepticisme : « La politique française de substitution et de distribution de seringues a été très efficace. Il serait dommage de dépenser entre 300 000 et 1 million d’€ par centre à l’année pour chaque centre alors que nous manquons cruellement de budget pour hospitaliser les toxicomanes... » En attendant les élections municipales, européennes ou en attendant Godot, le futur nouveau Premier ministre, le projet est officiellement en stand by pour « difficultés techniques » : un doux euphémisme.
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