À la suite du siècle des Lumières et du triomphe de la Raison, on a longtemps pensé en France que le « progrès » allait pouvoir assurer durablement aux populations du monde un avenir meilleur. C’était avant la Grande guerre. La suite immédiate a prouvé que les hommes n’avaient pas grandi en sagesse et le XXe siècle fut le plus meurtrier de toute l’histoire de l’humanité...
L’évolution est une notion aléatoire trop souvent associée à celle de progrès. Il y a des choses qui apparaissent comme un progrès à un certain moment et qui se transforment au cours de l’évolution du temps en calamité. L’emploi massif des pesticides de synthèse a été considéré longtemps, et à juste titre, comme un « progrès » puisqu’il a permis à l’agriculture de nourrir de plus en plus de gens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. On constate aujourd’hui que ces mêmes produits peuvent générer de graves problèmes de santé, que beaucoup de terres sont épuisées ou empoisonnées, que les rivières servent d’égouts et la mer de poubelle. Ce n’est pas ce que Pierre Rabhi appelle un « progrès », lui qui avait choisi dès 1961 avec sa femme Michèle de devenir paysans en Ardèche, la meilleure façon de donner un sens à leur vie en se tenant au plus près de la « mère-terre » qu’est la nature. Sur ces quelques arpents caillouteux, pauvres en eau et sans électricité, ils ont réussi à survivre puis à vivre en cultivant les sols grâce à des méthodes naturelles, sans tracteur, sans engrais ni pesticide, quand tant d’autres se laissaient endoctriner et parfois même ruiner par les agents du « modernisme agricole ». Il existe donc bien « une vie avant la mort, alliant liberté, équité, travail, nature et exigence », un système réputé utopique fondé sur le partage et la sobriété plutôt que sur la cupidité et l’égoïsme. Produire sans détruire les a rendus libres de vivre et heureux de faire souche.
Non, il n’est pas normal que l’Afrique importe du coton américain subventionné et ne puisse plus le cultiver elle-même. Non, il n’est pas juste que le Mexique soit condamné, au titre du libre-échange, à importer du maïs américain, lui aussi subventionné, alors que sa culture constituait la base alimentaire et économique de la grande majorité de sa population qui s’entasse aujourd’hui dans la misère des bidonvilles. Non, il n’est pas souhaitable que le Liberia ou la RDC (République Démocratique du Congo) par exemple, vendent ou louent leurs terres arables pour un prix de famine à des pays étrangers qui empoisonnent leurs sols. Non, il n’est pas non plus raisonnable que chez nous, en France, soixante mille hectares de terres agricoles disparaissent chaque année sous le béton tandis que la moitié des zones humides ont disparu en trente ans. Vendre sa terre, c’est vendre son âme au diable. D’ailleurs, on ne parle plus de « terre » ou de « sols » mais de terrains plus ou moins constructibles... Pour Pierre Rabhi, s’opposer à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, c’est s’opposer à la destruction du patrimoine vivant considéré comme un bien commun. « Il n’y a aucune raison valable pour que l’on continue à détruire des forêts et des terres afin d’y poser des avions. Nous pouvons parfaitement concilier la protection de l’environnement avec les nécessités du monde moderne. Compte tenu de l’évolution urbaine, nous devons impérativement conserver une ceinture nourricière autour des agglomérations. Le jour où les camions ne pourront plus alimenter les villes surpeuplées, ce sera la famine. » Le plus grand danger serait de croire que cela est improbable...
Les préoccupations environnementales étant passées au second plan, loin derrière le pouvoir d’achat (comme si le bonheur était fonction du PIB !), le monde n’aura bientôt plus le choix : il lui faudra être heureux ou mourir, cesser de produire du superflu pour fabriquer de la « croissance » mais du nécessaire pour vivre en paix avec soi-même et le monde. Tout cela sera rendu possible quand on aura fini de conférer à ce « gros mot » les vertus d’un credo mondialisé, quand on aura enfin compris qu’il est incompatible avec les limites et les ressources de la planète et que syndicats et patronats cesseront de brandir le « pouvoir d’achat » comme le totem du bonheur. Le ministère de l’Ecologie aura disparu et les « exploitants agricoles » mécanisés et informatisés seront redevenus enfin des « paysans » : une insurrection pacifique des consciences, un renoncement au « toujours plus », une conversion à la « sobriété heureuse ». Le monde ressemblera alors peut-être à cette « maison commune que nous avons reçue en partage » et dans laquelle « nous habiterons en harmonie les uns avec les autres » et non un stock de matières premières dans lequel on peut puiser sans se soucier ni de son renouvellement, ni des dégâts occasionnés sur l’environnement ou la santé.
En attendant, on peut se poser la question de savoir si les hommes, après la foi et la morale, ne sont pas en train de perdre la raison. « Quand on aura abattu le dernier arbre et pêché le dernier poisson, alors on verra que l’argent ne se mange pas » disait le chef indien Geronimo. Il est vrai que ces Indiens-là avaient un rapport à la nature autrement spirituel que leurs envahisseurs européens déguisés en cow-boys. La barbarie économique triomphera-t-elle des sagesses traditionnelles ? « Non, répond Pierre Rabhi, tant qu’il y aura des hommes qui prôneront par l’exemple vécu l’avènement d’une société humaine fondée sur la puissance de l’amour. » John Wayne, Monsanto et Goldman Sachs ne seront plus alors que de mauvais souvenirs...
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