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Montreuil ou le bouillon de culture

Comme chaque année à l’automne, les artistes de Montreuil ont ouvert leurs portes durant trois jours. C’était la veille de l’inauguration du nouveau centre d’art contemporain de la commune et l’avant-veille de l’ouverture de la FIAC à Paris.

Autrefois célèbre pour ses maraîchers, ses pêches et son raisin, Montreuil s’était déjà reconvertie au XIXe siècle dans une industrie florissante qu’accompagnait une foule d’artisans, de fondeurs, de ferronniers, d’ébénistes ou de fourreurs. Georges Méliès, en 1896, y avait construit les premiers studios de cinéma du monde, les frères Lumière et Charles Pathé installé des ateliers cinématographiques. Aujourd’hui, nombre de ces usines désaffectées sont devenues des lieux d’habitation ou des galeries d’art, et les ateliers d’artisans des ateliers d’artistes.

180 vernissages et 500 artistes

Vendredi soir, 180 ateliers signalés à l’extérieur par de petits ballons multicolores, ouvraient le bal des vernissages open, présentant le travail de 500 artistes : arts appliqués, gravure, céramique, mosaïque, bijoux, création textile, design, arts plastiques, peinture, sculpture, dessin, collages, illustration, photographie etc. : il y en avait pour tous les goûts et toutes les bourses. Des milliers d’amateurs et de curieux, de tous âges et de toutes nationalités – 90 sont recensées dans la commune – sillonnaient la ville, croisant des professionnels du marché de l’art, européens et américains, venus prendre la température et faire leurs courses. Dans les anciens studios cinématographiques de l’Albatros notamment, une centaine d’illustrateurs, de sculpteurs et de plasticiens amoureux de l’art urbain (street art), exposaient leurs œuvres et faisaient la fête sous les décibels et les lumières flashy : un bouillonnement iconoclaste, créatif et bon enfant au milieu duquel surgissait un « passage pour piétons » qui s’envolait dans les étoiles de la charpente métallique... Au bar, où la part de pizza, le café ou le verre de vin (un château médaillé du Bordelais) se facturait à 1 €, un plasticien français en dreadlocks racontait que, de passage cet été à Boston, un Américain lui avait demandé : Artist ?Are you from Montreuil ? Car de l’autre côté de l’Atlantique, un artiste français digne de ce nom n’habite plus ni à Montmartre ni à Montparnasse mais bien à Montreuil. Times are changing chantait Bob Dylan.

Gros plans

À deux pas de là, à l’atelier Petroland, 45 bis rue du sergent Bobillot, Criska proposait ses bijoux. Ancienne élève de l’école Boulle et Meilleur Ouvrier de France en 2004, elle expliquait patiemment le sens et les gestes de son travail : ciseler, repercer, repousser, brosser le métal précieux pour donner à ses bagues, bracelets, broches ou boutons de manchette de l’éclat, de la couleur et de l’esprit. Un peu plus haut, au 19 de la rue Carnot, Michel et Dominique (Apacc) proposaient une nouvelle version de leur thème « filiations » mettant en perspective le travail du peintre Frédéric Brandon et celui de son fils : les célèbres « vanités » du père (méditations « végétales » sur la vie et le sens de la peinture) ainsi que ses autoportraits (sans aucune trace de narcissisme) faisaient face à l’interrogation du fils sur ses propres outils de travail ; le père parlait de l’île Calot et de ses palourdes roses, de ses amis rugbymen ou d’Antoine Blondin dont il avait illustré le roman Monsieur Jadis. Son fils Philippe, au visage prophétique, rappelait quelques-unes des expositions précédentes et les artistes qui l'avaient marqué : Raphaël Barontini, qui avait confronté ses très grands formats mêlant histoire de France et culture « latino-caraïbes » à ceux, plus sombres, d’Éric Dizambourg ; Nicolas Darrot * mécanicien, électronicien, sculpteur et poète avec sa machine intitulée « La Fabrique », sorte de chaîne de recyclage inspirée à la fois des travaux de Marey et de la retraite de Russie, où un tapis roulant transparent entraînait des soldats miniatures dans un cycle sans fin... Arnaud Cohen, qui avait exposé à l'Apacc en 2013 son « Radeau de la Méduse » à l'occasion du centenaire de Marcel Duchamp ; des cannettes et bouteilles gonflables immenses, installées sur une embarcation pneumatique évoquaient la masse des gratte-ciel new-yorkais. Les artistes de la précédente édition de « Filiations » (Philippe et Arto Huart, Pearl Cholley) étaient présents, là où l'an dernier, ils avaient exposé des peintures grandes comme des affiches de cinéma, des photographies et des pochettes de 33 tours...
Ainsi va la vie à Montreuil, d’atelier en atelier, de rencontres en découvertes.
Depuis une quinzaine d’années cette commune, grâce à la qualité de son patrimoine industriel reconverti, à la modestie de ses prix au m2 et à son charme pavillonnaire a réussi à attirer de nouveaux émigrés en provenance de la capitale. Cette « gentrification » ou « boboïsation » raillée par l’ancienne municipalité, a permis à la vieille commune sinistrée de devenir un bouillon de culture où il fait bon « vivre et travailler » comme disent les catalogues. Et pour que la boucle soit bouclée, il ne reste plus à Madame Voynet qu’à faire classer l’immeuble stalinien qui lui sert de mairie, et à transformer le siège de la CGT en musée consacré au réalisme socialiste.

* Nicolas Darrot a eu l’occasion de présenter ses œuvres à Nantes, au « Lieu Utile »

Auteur : CM | 17/10/2013 | 0 commentaire
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