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Mauvaises nouvelles pour les fonds marins

Si la guerre des étoiles marque une pause, celle des mers bat son plein. Mardi dernier, 342 députés européens ont préféré baisser leur culotte devant les lobbys de la pêche industrielle plutôt que d’interdire le chalutage en eaux profondes (réputé pourtant le plus destructeur de l’histoire de l’humanité), tandis que les 326 autres ont gardé la leur avec le peu de dignité qui y était encore attaché.

En effet, malgré la détermination des ONG, de Greenpeace et de militants écologistes de tout poil (Nicolas Hulot en tête), malgré la mobilisation de quelques personnalités hors-norme tel Richard Branson (le milliardaire « libertarien » fondateur des Global Elders*), et le travail magnifique de Claire Nouvian**, les eurodéputés ont adopté un misérable compromis se limitant à « encadrer » cette activité de destruction massive. Les socialistes se sont alliés à la droite, certains ont choisi de déserter le vote, neuf autres ont été proprement « retournés » par les barbouzes en col blanc de G + Europe, un cabinet de lobbying implanté à Londres et à Bruxelles, qui s’était déjà illustré, entre autres « eaux profondes », dans la défense d’un laboratoire pharmaceutique peu recommandable et dans le torpillage du projet européen Nabucco à la grande satisfaction de Gazprom, un de ses bons clients.

Des écosystèmes multimillénaires vandalisés

L’océan « profond » que les Grecs appelaient non pas « thalassa » ou « okeanos », mais « pelagos », constitue le plus grand réservoir de biodiversité de notre planète. Il y a quelques années encore, on considérait qu’aucun animal vivant ne pouvait subsister au-delà de 200 mètres, jusqu’à ce que l’on pêche le premier cœlacanthe en 1938, dont un spécimen avait été découvert à l’état de fossile dans une couche de schiste ardoisier d’un canton Suisse en 1832. L’océan profond était donc habité y compris, comme on l’a découvert plus tard,  par des pieuvres qui y couvent durant plusieurs années, des éponges antédiluviennes, des coraux de 10 000 ans, des siphonophores géants de 100 mètres de long et des tas d’espèces dont on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’elles ne constituent qu’une infime partie de ce qui existe dans les abysses : on en découvre une nouvelle espèce toutes les quinze jours. Le chalutage « profond » est donc une pêche industrielle, pratiquée par des navires surpuissants opérant de 400 à 1800 mètres de profondeur au moyen de gigantesques chaluts dont la gueule de 100 mètres de large racle le plancher océanique plusieurs fois par jour et tous les jours que Dieu fait. Ils sont 300 dans le monde (dont 11 en Europe et 9 en France dont 6 appartiennent au groupe Intermarché basés essentiellement à Lorient et au Guilvinec) à labourer inlassablement les fonds marins, dévastant au passage des écosystèmes multimillénaires, un peu à la façon dont on dévaste les forêts primaires en Amazonie ou ailleurs.

Une opération de carambouille économique

Au menu, pour l’essentiel, de la lingue bleue, du sabre noir, du grenadier mais aussi de l’empereur, du flétan, ou du sébaste qui se reproduisent à un rythme très lent. L’empereur, par   exemple, qui n’atteint sa maturité sexuelle qu’à trente ans et peut vivre jusqu’à cent vingt ans, a quasiment disparu de l’Atlantique Nord-Est en moins de deux décennies. Les données scientifiques sont sans appel : dans les années 1980, c’est-à-dire avant le chalutage en eaux profondes, on comptait plus de 25 000 poissons / km. Aujourd’hui, on n’en compte plus que 7225, soit près de 3,5 fois moins... « Pour une poignée d’espèces commercialisables, confirme Claire Nouvian, plus d’une centaine d’autres sont remontées à la surface pour être rejetées à la mer comme de vulgaires détritus. Des espèces d’autant plus vulnérables que la vie en eau profonde rend leur croissance très lente. Tous les pêcheurs artisanaux qui veulent encore vivre de leur travail nous soutiennent mais la France et l’Espagne continuent de peser sur le lobby de la « commission pêche » à Bruxelles. Puisque les réserves de certains poissons, comme la morue ou l’églefin, sont quasiment épuisées, ils encouragent la pêche « toujours plus profond », en subventionnant un outil industriel criminel et surdimensionné. » Les subventions ? Parlons-en. Durant ces dix dernières années, ces armateurs « voyous » ont touché plus de 10 millions d’€ pour approvisionner les rayons de supermarchés en filets de poissons par ailleurs déconseillés aux femmes enceintes par l’AFSSA. Grâce à cette manne, le poisson sort des bateaux des Mousquetaires à 2 € le kilo, est chargé dans les camions des Mousquetaires et se retrouve sur les étals des Mousquetaires à 17 € le kilo en moyenne. Une bonne affaire, somme toute, entièrement subventionnée par les contribuables européens qui payent deux fois : la première à l’aller, en finançant la pêche, et la seconde au retour, en achetant le poisson. Chapeau les Mousquetaires. Alexandre Dumas n’aurait pas imaginé mieux.

Un espoir inattendu

Une bande dessinée épatante due à Pénélope Bagieu décrit parfaitement l’opération qui permet donc aux contribuables de financer directement l’extermination de la biodiversité et la dévastation des fonds marins. Une formidable pétition  de 750 000 signatures rien qu’en France, n’a ébranlé personne et surtout pas les Mousquetaires qui continueront donc leur travail de destruction au nom de la liberté d’entreprendre et de la sauvegarde de l’emploi, à moins   que...  Après Casino, qui s’est engagé à ne plus commercialiser ce type de poissons à partir du 1er janvier 2014, l’enseigne Carrefour, qui ne vendait plus de lingue bleue ni d’empereur depuis 2007, a annoncé à son tour qu’elle arrêterait progressivement la commercialisation du sabre, du grenadier et du brosme d’ici à juin 2014. Elle a également annoncé sa volonté de doubler à la même date ses références de produits dotés du label de pêche durable MSC (Marine Stewardship Council), le plus répandu à défaut d’être le mieux respecté du monde. Il y a donc une chance pour que les Mousquetaires remettent leurs armes de destruction massive au fourreau et suivent le mouvement, contraints et forcés... par la concurrence !

La Grande Barrière de corail en travaux

Du côté de la Grande Barrière, les choses ne vont guère mieux : le gouvernement australien vient de donner son accord pour agrandir le port charbonnier d’Abott Point dans le Queensland. Plusieurs membres du Conseil de surveillance de la Grande Barrière étant plus que soupçonnés d’être juge et partie dans l’affaire, le ministre de l’Environnement n’a pas attendu les conclusions de l’enquête pour autoriser le début des travaux : 3 millions de mètres cubes de fonds marins vont ainsi être dragués... Dans la foulée, ce sinistre en a profité pour autoriser la construction d’une usine de gaz naturel liquéfié et l’installation de gazoducs sur Curtis Island, située au cœur du parc de la Grande Barrière ! Les ONG  locales de protection de l’environnement ont modérément apprécié au point que l’Unesco elle-même menace de modifier le statut de la Grande Barrière (inscrite au patrimoine mondial de l’humanité), pour la reclasser dès l’année prochaine en tant que « site en danger ». On croit rêver.

Nos démocraties sont malades, rongées par la corruption et minées par le consumérisme. Tout se passe comme si les décisions politiques ne relevaient plus des instances traditionnelles et représentatives, mais de la puissance financière des seuls actionnaires. Ceux-ci recourent en toute occasion aux services de ces nouveaux « valets du grand capital » sortis des grandes écoles, qui peuplent les officines de lobbying installées dans les paradis fiscaux. L’armée de Goldman Sachs semble irrésistible. C’est la version moderne du tristement célèbre « Je suis partout ». Si l’on ne veut pas se faire manger tout cru par ces malfrats d’un nouveau genre, et si l’on refuse que les océans soient vidés d’ici 35 ans, il serait peut-être temps de se remuer les fesses, de construire de sérieux contre pouvoirs via Internet et, en l’occurrence, de ne plus acheter ces poissons d’eaux profondes. Si les Goliath se comptent par centaines, les David se comptent par centaines de millions. Les élections européennes approchent. Aux urnes, citoyens !

NB Un courriel reçu vendredi émanant de l’association BLOOM  précise qu’à la suite d’un quiproquo de procédure, certains députés ont fait modifier leur vote ce qui a eu pour conséquence d’inverser le résultat : cette victoire inattendue sur le papier  ne pouvant hélas être prise en compte d’un point de vue légal, rien ne devrait changer dans la réalité, si ce n’est que, quelques heures après le vote, l’enseigne Intermarché exprimait sur sa page Facebook son souhait d’éviter de désormais de cibler les espèces profondes. Comme quoi il ne faut jamais désespérer et continuer à être vigilant.

* Les Global Elders ONG fondée en 2007à l’initiative de Charles Branson, avec Desmond Tutu, Peter Gabriel, Kofi Annan, Jimmy Carter, Muhammad Yunus, et feu Nelson Mandela qui déclarait « ce groupe peut parler librement et avec audace, travaillant aussi bien de manière publique que de manière officieuse sur toutes sortes de mesures qui doivent être prises. Nous travaillerons ensemble pour soutenir le courage là où il y a la peur, pour encourager la négociation là où il y a le conflit, et donner l'espoir là où règne le désespoir. »
**Cinéaste, auteur, conférencière et spécialiste des abysses, Claire Nouvian est la fondatrice et directrice de BLOOM, une association créée en 2004 qui milite pour la protection des écosystèmes marins par l’éducation et la sensibilisation du public.

Auteur : C.M. | 17/12/2013 | 1 commentaire
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Vos commentaires

#1 - Le 24 novembre 2014 à 22h36 par MG
ce ne sont pas des pécheurs mais des industriels c'est le pb .ils s'en fiche de la ressource quand elle sera épuisée ils passeront à autre chose qui rapporte .quand a nos députés sortis pour beaucoup des grandes écoles ou leurs prof sont leur ainés, ils apprennent a nous niqués sans vaseline ,ca baisse les marges he oui li n'y a pas de petit profit . le boycott des grandes surfaces qui vendent ces poissons me semble être une arme redoutable.MG

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