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Les Nouveaux chiens de garde ou le documentaire pédagogique

Un film coup-de-poing, c’est le cas de le dire ! On comprend pourquoi sa sortie a été si peu relayée dans les médias. Le Front de gauche à Saint-Nazaire s’est saisi du film pour initier une réflexion sur la question médiatique.

La première projection des Nouveaux Chiens de Garde qui s’est déroulée dernièrement au Cinéville de Saint-Nazaire était inscrite dans les assemblées citoyennes que le Front de Gauche organise un peu partout en France. L’occasion de permettre un débat et de donner jour aux propositions du parti pour transformer le système médiatique.

Le Pitch

Patrick Kamenka
Patrick Kamenka

Les Nouveaux chiens de garde, un film de Yannick Kergoat et Gilles Balbastre, inspiré du livre de Serge Halimi paru en 1997 et actualisé en 2005. Le film propose une analyse très poussée des liens unissant les bureaucrates du monde médiatique et les apparatchiks du monde politico-industriel. Serge Halimi n’avait pas choisi son titre au hasard puisqu’il répondait à un pamphlet de Paul Nizan publié en 1932.  Le livre Les Chiens de garde s’en prenait aux philosophes et intellectuels de  l’époque qui sous couvert de neutralisme politique défendait l’ordre établi. En 1932 Paul Nizan citait « Monsieur Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail aux ouvriers qui mourraient sans lui ». En 2005, Serge Halimi explique «Les médias adorent relayer ces grandes causes associant tout et chacun sans déranger rien ni personne. Le consensus « humanitaire » a la même utilité que les « débats » entre journalistes ? Ils brassent du vent pour détourner l’orage ». Entre Paul Nizan et Serge Halimi, qu’est ce qui a changé ? Pas grand-chose, si ce n’est que les médias, normalement contre-pouvoir, sont aujourd’hui le relais de la pensée unique.

Un débat stimulant sur fond de présentation de programme

Ugo Palheta
Ugo Palheta

Favoriser la prise de parole et apporter des idées et du contenu dans le débat, c’est ainsi que le Front de gauche souhaitait voir la soirée et c’est chose faite. Une soirée débat qui a permis, au moins pour ceux présents qui ne seraient pas complètement d’accord avec les idées du Front de gauche, de faire œuvre d’éducation populaire. Pour ce faire, deux intervenants étaient conviés : Ugo Palheta, sociologue et co-animateur du site Acrimed (Action-Critique-Medias), et Patrick Kamenka, journaliste et membre du bureau national du Syndicat national des journalistes (SNJ-CGT). La projection terminée, Ugo Palheta souligne « On est très content du nombre d’entrées, autour de 150 000, ce qui montre qu’il y a une vraie audience pour le film. Vous vous doutez bien que les grands groupes ne se sont pas rués dessus qu’il passe plutôt par le bouche à oreille. Les réactions sont plutôt positives et donnent lieu à énormément de débats sur un ensemble de questions politiques, sociales, économiques posées à travers le film. On parle des medias comme une vraie question politique et économique quant à la précarité des journalistes ».
Fort de son expérience et de son engagement, il explique par la suite que le film n’est pas là pour faire une critique acerbe des stars des médias. C’est le produit d’une analyse intransigeante des médias que mènent depuis quelques années le site Acrimed, le Monde Diplomatique, Serge Halimi et bien avant lui Pierre Bourdieu.
Les travaux de Pierre Bourdieu, décédé depuis déjà 10 ans, ont énormément porté sur la sociologie des médias. Son objectif était d’une part de comprendre comment cela se faisait qu’un ordre social inégalitaire continue à se maintenir ? Et d’autre part, d’expliquer que la fabrication quotidienne du consentement dans les médias n’est pas simplement liée à la coercition mais aussi à l’idéologie. Au centre, la question du droit à l’information et du pluralisme de l’information ?
En introduction Patrick Kamenka explique qu’ « il y a une minorité de journalistes proche du pouvoir et des grands groupes industriels qui essaient de tenir l’opinion sous la domination idéologique du pouvoir. C’est aujourd’hui une question de démocratie qui se pose, une question de société et les journalistes n’attendront pas 30 ans pour que cela change. Les journalistes doivent reprendre le droit à l’information, c’est une question qui dépasse le cadre français, toute cette idée se pose chez nos confrères journalistes étrangers et on le voit avec ce qui se passe en Hongrie aujourd’hui ». Sur 37 000 journalistes qui ont leur carte de presse en France, 20 % sont précaires dont 60 % des jeunes journalistes, en cdd ou pigistes.
Dans le public, plusieurs questions se croisent et interpellent les intervenants « Comment peut-on être crédible sur une solution politique ? Quelle est la véritable force des médias pour laver les cerveaux ? Quelles sont les alternatives et quelles mesures aujourd’hui pourrait-on prendre pour assurer l’indépendance de la presse ? Notamment l’indépendance financière par rapport aux grands groupes dont on voit qu’ils ont un rôle déterminant ? ». Un spectateur s’exprimera sur son sentiment de désespoir face à la masse qui assomme et le renoncement des journalistes. D’autres remercieront les réalisateurs pour l’intelligence du film quand certains trouveront la conclusion insuffisante.
À toutes ces questions, les réponses ne tardent pas à venir. Ugo Palheta souligne que « la seule réponse politique que l’on peut apporter c’est la mobilisation. ce que ne dit pas le film, qui est une idée fausse, c’est que les personnes sont des sortes d’éponges qui prendraient mot comptant le discours dominant. Non c’est faux ! Le désespoir vient de l’accumulation de discours depuis 30 ans ne montrant pas d’alternative ». Il explique qu’il y a des marges de manœuvre par le biais politique. Pour lui, à elle seule, la presse alternative ne peut constituer une alternative au système dominant qui réside dans l’appropriation privée des medias.

L’action politique comme revers à la concentration des médias

En toile de fond du débat, le Front de gauche souhaite apporter des solutions à la concentration des medias. Sa volonté réside dans l’idée qu’il faut soutenir toutes les formes de presses alternatives, qu’il faudrait populariser un programme de rupture et faire converger les initiatives existantes avec les syndicats, les radios et les partis politiques. Ugo Palheta ajoute « Il faut agir par la loi, instaurer une mesure qui refuserait que des groupes qui vivent des commandes publiques puissent posséder un media ! ». Une mesure intéressante qui éliminerait d’emblée des groupes comme Dassault, Bouygues ou Lagardère…
Patrick Kamenka souligne « Sur les 37 000 journalistes, ce ne sont pas tous des gens au service des puissances dominantes, la grande majorité de ceux qui travaillent dans les grands medias font leur travail. Mais ils sont de plus en plus en difficulté sur le plan social, parce que les concentrations font qu’il n’y a plus qu’un seul journal ». Une façon d’aborder le problème de la précarité des journalistes liée à la fusion des journaux organisée par les grands groupes. À la question de l’indépendance, il rappelle que « La nomination des PDG de medias par le pouvoir doit cesser. Il faut remettre en place le système, il y a des mesures tout à fait concrètes, par exemple la fin de la concession de TF1 être mise sur la place publique pour savoir si cela peut revenir dans le secteur public ». En réponse au sentiment de désespoir, il expliquera au public que tous les jours il y a des luttes syndicales dans les entreprises de presse dont bien évidemment les médias ne parlent pas.
Le débat intéresse le public qui s’empresse de lever la main afin de prendre la parole. Des questions sont jetées comme des bouteilles à la mer « N’y a-t-il pas trop de publicité dans les medias et que peut-on faire pour changer ça ? On parle de pluralisme, il existe en France des femmes de qualité capables de prendre la parole mais elles ne sont jamais mises en avant, quelle politique mener pour qu’il y ait une parité ? »
Taxation de la publicité, augmentation de la redevance et instauration d’un nouveau « CSA »
Ugo Palheta souligne « Ce qu’a changé Sarkozy, c’est qu’il nomme directement les personnes à la tête des medias publics. Avant c’était le CSA qui les nommait, lui-même était nommé par l’exécutif ». Par là il tente de démontrer que le CSA n’est pas une autorité indépendante comme elle le prétend. Le Front de gauche à juste titre propose sa suppression. Il souhaiterait le voir remplacé par un « Conseil national des médias » avec de nouvelles bases représentées par des salariés, des élus, de professionnels et de citoyens. Une volonté affichée de refaire les institutions publiques des médias pour les éloigner du pouvoir dominant. À la question de la publicité dans les médias, bien évidemment, les deux intervenants s’accordent à la voir disparaître du service public. Ils proposent également une taxation de la publicité sur les chaines privées pour abonder des aides dans la presse alternative et une augmentation de la redevance. Sur la parité homme/femme, Patrick Kamenka souligne « Sur l’égalité homme/femme, on pense que la parité arrive puisqu’il y a plus de femmes aujourd’hui qui sortent des écoles de journalistes ». Ugo Palheta ajoutera qu’ « Il faut se poser la question de la formation des journalistes qui ne serait plus dans le cadre d’écoles privées mais dans le public. Car il ne faut pas oublier la responsabilité des journalistes et des éditorialistes. Il existe un sexisme important dans la presse notamment la presse féminine. Ce n’est pas qu’une question de parité ».

L’éducation au médias en question

Le sujet fera rebondir un spectateur qui demandera « Est-il possible dans les semaines qui viennent que des classes de Terminale et de Première puissent voir le film qui déconstruit un peu les medias ? Il me semble que la question de fond est le développement de la pensée citoyenne qui à mon sens commence à l’école. Et on le voit bien que le programme de Sarkozy vise a démolir l’Histoire, la Géographie, la Philosophie et donc la pensée chez les jeunes ». La réponse restera vague, en raison du fait notamment que c’est au Cinéville que revient cette décision. Néanmoins, Patrick Kamenka explique que c’est au programme du Front de gauche d’abonner toutes les classes aux différents journaux pour que les jeunes puissent réapprendre à lire et découvrir la presse. « Je crois qu’avoir un débat avec des enseignants et des lycéens sur ce film est une très bonne idée ! ».
On regrette que sur fond de question citoyenne Thierry Brulavoine, de Label gauche, prêche pour sa paroisse en soulignant « Je vais relater une information qui n’est pas parue dans la presse locale, mais c’est une information qui attrait au conseil municipal de septembre. Lors du conseil municipal il a été voté la suppression du droit d’expression de l’opposition dans le bulletin municipal. Une opposition qui a fait 18 %. N’est-il pas possible de se réapproprier les bulletins municipaux pour redonner la parole aux citoyens dans les villes ? ». Et pourtant, il connaît l’existence du site www.saintnazaire-infos.fr, qui par deux fois a relayé l’information. Ici :
http://www.saintnazaire-infos.fr/conseil-municipal-du-stalinisme-au-printemps-arabe-23-43-1031.html
et ici :
http://www.saintnazaire-infos.fr/kaleidoscope-de-la-politique-nazairienne-avec-label-gauche-23-48-1044.html
Une autre question concernera Internet. Internet est-il une solution alternative à l’indépendance de la presse ? Patrick Kamenka souligne « Internet c’est un débat car le système n’a pas trouvé sa place sur le plan économique, néanmoins il existe quand même sur le net une presse alternative. Il ne faut rien laisser en friche et se donner tous les moyens pour répondre aux grands medias. Internet pose la question du rôle du journaliste, du rôle de l’information, de la nécessité de la sourcer et de la hiérarchiser ». Ugo Palheta conclura « Un media sur le web, c’est une alternative mais c’est un autre modèle de journalisme qui demande des moyens et du temps. Un autre modèle fondé sur d’autres financements dont il va falloir garantir la transparence pour l’indépendance ».

Auteur : SD | 10/03/2012 | 0 commentaire
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