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AF 447 Rio – Paris : des précisions indispensables pour éclairer ce drame

Une absence d’indications permet aujourd’hui de comprendre l’enchaînement fatal qui a entraîné ce drame.

Les circonstances de la disparition de cette machine et de tous ses occupants pouvaient laisser croire  que les causes de l’accident ne seraient jamais élucidées. Les seules indications dont disposaient les enquêteurs du BEA étaient la transmission par le système ACARS de l’avion des différents messages de panne, mais c’était très largement insuffisant pour étayer une hypothèse réellement crédible. Néanmoins, certaines indications pouvaient déjà infirmer l’hypothèse, qui avait été avancée, d’une dislocation de l’appareil due à l’orage ou une explosion.

Ce n’est qu’au bout de deux ans de recherches que l’épave de l’avion fut localisée et que les enregistreurs purent être déchiffrés et analysés. Les choses devinrent alors plus claires et un scénario de l’accident a pu être élaboré.

Le BEA (Bureau Enquêtes et Analyses) a fait un travail remarquable et à publié son rapport définitif en 2012. Une note de synthèse résume les points essentiels de l’analyse de l’accident et donne les recommandations émises. 

Cet accident a pour cause initiale un givrage simultané des trois sondes de pression dynamiques (tubes de Pitot, du nom de l’inventeur) qui fournissent aux calculateurs de bord une information qui sera traduite en vitesse indiquée sur les écrans des pilotes. Elles sont au nombre de trois car la norme (réglementation aéronautique) prévoit que l’occurrence de panne totale du système d’indication de vitesse, qui peut avoir des conséquences critiques (perte de l’aeronef et de ses occupants) ne doit pas excéder une fois par milliard d’heures de vol.

C’est évidemment un calcul de probabilités qui se justifie statistiquement. Or, les sondes « pitots » sont sujettes à des givrages depuis qu’elles existent. Pour empêcher ce givrage, elles sont réchauffées par une résistance électrique dont le rôle est de faire fondre les cristaux de glace qui pourraient obstruer le tuyau d’écoulement de l’air.

La panne de cette résistance est le cas le plus fréquent et on démontre que sa probabilité d’occurrence est d’une fois toutes les mille heures de vol. Comme la probabilité de panne d’un système ayant des composants indépendants et redondants se calcule en faisant le produit des probabilités d’occurrence de chacun des composants, on en installe trois pour satisfaire à la réglementation. (1000x1000x1000 = 1 milliard)

Toutefois, ce calcul ne vaut pas s’il existe une cause de panne commune aux trois sondes. Or, ce cas de panne totale était déjà survenu plusieurs dizaines de fois auparavant, heureusement sans de telles  conséquences.

Pourquoi celle-là fut elle catastrophique ?

La note de synthèse résume l’enchaînement des faits et je vous invite à la consulter.

Le point crucial, et c’est celui que je voudrais commenter, est « l’absence de diagnostic de la part de l’équipage de la situation de décrochage et, en conséquence l’absence d’actions permettant de la récupérer »

Pourtant, ce qu’on appelle le « décrochage »est un phénomène basique. L’aile d’un avion est caractérisée par un profil aérodynamique qui permet aux filets d’air d’exercer une certaine pression sur la face inférieure de l’aile (intrados) et une dépression sur le dessus (extrados), la somme des deux créant ce qu’on appelle la portance de l’aile, qui permet à l’avion de tenir en l’air.

Cependant, cette portance varie suivant l’angle que fait l’aile avec la direction des filets d’air. Au delà d’une certaine « incidence » (l’angle en question) les filets d’air, jusque-là collés au profil de l’extrados, ont une tendance à se décoller. Cela a pour effet de passer d’un régime laminaire (toutes les particules d’air sont à la même vitesse et ont la même direction) à un régime dit « turbulent » qui se caractérise par des mouvements tourbillonnants qui n’aspirent plus l’intrados de l’aile vers le haut. Ce phénomène aérodynamique est appelé « décrochage » et tous les avions y sont sujets.

Il apparaît alors que le paramètre essentiel est l’angle d’incidence.

Les habitudes sont parfois dures à changer

Comme les avions sont nés bien avant la théorie aérodynamique, le paramètre de pilotage était la vitesse de l’appareil, car les premiers aviateurs avaient remarqué qu’il fallait une certaine vitesse pour décoller. Il constataient également qu’en dessous d’une certaine vitesse, l’avion ne tenait plus en l’air et on appelait le phénomène « perte de vitesse », qui se traduisait généralement par une abattée à piquer plus ou moins violente, souvent précédée de vibrations assez fortes appelées « buffeting ».

Cependant, la vitesse de décrochage d’un avion varie avec sa masse, alors que l’incidence de décrochage est toujours la même., puisqu’elle ne dépend que du profil aérodynamique.

L’angle d’incidence est un paramètre de pilotage fondamental.

Il se trouve que, depuis des décennies, une controverse est née. Certaines écoles de pilotage considéraient que l’assiette (l’attitude longitudinale) de l’avion, indiquée par les instruments gyroscopiques, devait rester le paramètre de pilotage principal alors que, depuis les années 70 et l’apparition des dispositifs de pilotage « tête haute », le pilotage au « vecteur-vitesse », donc à l’angle d’incidence, était beaucoup plus représentatif de la trajectoire de l’avion.

La raison majeure était que l’assiette était la somme algébrique de deux angles, le premier étant la pente (trajectoire de l’avion) et le second l’angle d’incidence. On pouvait donc avoir, pour une même assiette, des pentes et des incidences différentes.

Ces précisions sont importantes car si l’équipage du vol AF 447 avait eu une indication d’incidence, il est  probable qu’il aurait pu identifier la situation de décrochage. De surcroît, cette phase de vol ne faisait pas l’objet d’exercices sur le simulateur durant leur qualification. Ceci probablement parce que l’avion était protégé par des sécurités automatiques en cas de dépassement de l’incidence limite.

Or, il se trouve que la perte d’information de pression dynamique (vitesse) changeait la loi de pilotage des calculateurs, et désactivait notamment ces protections d’incidence. L’avion pouvait alors aller au décrochage.

Mais cette panne provoquait également l’apparition d’une alarme « survitesse » indiquant que la vitesse de l’avion était trop importante. L’apparition simultanée, en plus de toutes les autres alarmes transformant les planches de bord en « arbre de noël », de deux alarmes contradictoires (décrochage et survitesse) avait de quoi dérouter n’importe quel équipage.

Enfin, pour accentuer cette difficulté, la logique de fonctionnement de l’alarme de décrochage qui faisait qu’elle s’éteignait en dessous d’une certaine vitesse (pour ne pas provoquer d’alarme intempestive avion au parking) et se rallumait une fois cette limite dépassée a fait que, lorsqu’une action à piquer, qui aurait peut-être été salvatrice, était tentée, cette alarme réapparaissait. De quoi dérouter les plus expérimentés et installer un doute sur la véracité de cette alarme.

Malheureusement, l’absence d’indication d’incidence, alors que celle-ci était fournie aux calculateurs (trois sondes d’incidence installées) dans les instruments de bord, a probablement été l’une des causes aggravantes de cette catastrophe.

Ces choses, bien que déjà notées dans le rapport du BEA, méritent cependant d’être soulignées pour comprendre l’enchaînement fatal qui a entraîné ce drame.

Auteur : Jean Goychmann | 03/11/2022 | 6 commentaires
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Vos commentaires

#1 - Le 03 novembre 2022 à 15h54 par Piriou, GuÉrande
Je ne comprends pas tout pourquoi vous parlez d'absence d'indication d'incidence ? C'est un manque d'équipement ?
#2 - Le 03 novembre 2022 à 16h44 par breizh44, Pornichet
Et donc … où voulez-vous en venir avec ce discours? Le vrai souci révélé par cet accident tragique est qu’il y a des lacunes dans la formation des pilotes chez Air France et des déficits au niveau du CRM (Crew Resource Management). Quand le problème technique est survenu les deux pilotes ont agi seuls sans coordonner leurs actions entre eux et sans communiquer de façon adéquate. En plus les pilotes ne sont pas suffisamment formés pour piloter des avions manuellement sans être assisté par les nombreux automatismes de l’appareil (« pilotes Nintendo »). Malheureusement ces déficits subsistent encore aujourd’hui, comme on a pu voir lors de l’incident du vol AF-11 en avril dernier à l’approche de CDG où les deux pilotes ont failli planter un 777 parfaitement opérationnel parce qu’ils ont actionné les commandes simultanément dans des directions opposées.
#3 - Le 05 novembre 2022 à 11h04 par Jean Goychman
@ Piriou
Exactement, il n'y avait pas d'indication d'incidence dans les instruments de bord. Il est très regrettable qu'elle ne soit pas imposée par la réglementation. Il est probable qu'elle le devienne.
Elle est présente dans les postes de pilotage de la plupart des avions de ligne, mais pas les A330 d'Air France.
#4 - Le 05 novembre 2022 à 11h21 par Jean Goychman
breizh44, ne vous contentez pas de l'apparence des choses. Je ne connais pas votre expérience en matière de formation des équipages, mais vous semblez bien informé. Tout porte à croire que l'équipage n'a pas pu identifier la phase de vol (décrochage) dans laquelle ils se trouvaient. Je dis qu'une information d'incidence les aurait immédiatement renseigné.Les pannes de pitots, toutes causs confondues, sont (relativement fréquentes) fréquentes. J'en ai subie une il y a presque 50 ans en décollant au travers d'un vol d'oiseaux dont 2 ont eu la mauvaise idée de s'embrocher sur les 2 tubes pitots. Au moment de ma formation sur la machine, j'avais eu un échange avec un de mes instructeurs qui m'avait donné une valeur d'incidence qui pouvait assurer la sécurité dans toutes les phases de vol.
Je ne fait que livrer mon opinion personnelle sur le pilotage à l'assiette qui peut (et ce fut le cas) troubler l'analyse de l'équipage. Ils ont (apparemment) piloté l'assiette jusqu'au bout et ils ne comprenaient visiblement pas pourquoi ils descendaient avec une assiette en léger cabré (écoute de l'enregistrement)
#5 - Le 07 novembre 2022 à 09h48 par breizh44, Pornichet
M. Goychman, je suis d’accord, l’information d’incidence était cruciale pour comprendre dans quel état le co-pilote avait mis l’avion en tirant à fond et en permanence sur le manche. Mais à mon avis ils disposaient de cette information à travers l’horizon artificiel. Tout le problème est là : Les pilotes n’étaient pas suffisamment formés pour faire face à la situation où le pilote automatique se déconnecte et il faut maintenir l’avion en vol manuellement. Vous décrivez bien votre propre expérience où l’information de l’instructeur vous a sauvé la mise. Je ne jette pas la pierre uniquement aux jeunes pilotes qui étaient dépassés par ce qui leur arrivait. Je dis bien que c’est problématique que les pilotes n’apprennent plus à piloter au « fesse-mètre ». J’en ai discuté longuement avec un pilote professionnel. Dans une telle situation il est crucial de maintenir l’assiette et de ne pas toucher aux gaz pendant qu’on analyse la situation. Si les instruments donnent brusquement des indications incohérentes il y a de grandes chances que le problème ne vienne pas d’un changement brusque de l’état de vol de l’avion, mais bien d’un problème avec les instruments. D’où la nécessité impérative de ne rien changer aux paramètres de vol. A 38.000 pieds la marge entre vol stabilisé et décrochage est faible.
#6 - Le 07 novembre 2022 à 18h02 par Jean Goychman
M Breizh44, votre post appelle plusieurs commentaires
1) l'information d'incidence n'était rapportée au PFD (Primary Flight Display) qui donne les infos de pilotage de base.
2) Il se trouve que j'ai travaillé sur le concept de pilotage au vecteur vitesse lorsque j'étais jeune ingénieur aux essais en vol, hélas il y a longtemps.Dans ce type de pilotage, beaucoup plus instinctif que celui dit "à l'assiette", le paramètre fondamental est l'angle d'incidence. A Air Inter, tous nos avions étaient pourvus d'une indication d'incidence sur la planche de bord et certains (Mercure et A 320), avaient également un collimateur "tête haute" pour piloter au vecteur vitesse.
Ni moi, ni tous mes collègues d'Air Inter, n'avons compris la raison pour laquelle les Airbus d'Air France n'avaient pas ces équipements et que ceux en provenance d'Air Inter avaient
-parait-il- été retirés.
Si cela vous intéresse, nous pouvons poursuivre cette intéressante discussion.

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